Histoires en livres scènes images et voix

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Enfants de gouttières - Episode 10

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2002

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

 

 

Épisode 10

 

 

Sauvetage

 

 

Le maître d'internat se raccroche à un dernier espoir : l'enfant sera descendu dans la cour pour reprendre l'observation du ciel commencée à la veillée... Ayant enfilé une robe de chambre, M. Régis précipite le pas pour sortir; du haut du balcon, la cour lui paraît déserte mais il y fait noir, peut-être le jeune garçon y est invisible assis quelque part les yeux levés vers les étoiles. Sans se soucier du bruit que fait l'escalier métallique sous ses pas, il descend les marches promptement. Il n'a pas pris de torche électrique. Qu'importe ! Ses yeux se sont habitués à la pénombre et il discerne suffisamment le vaste espace découvert pour y constater l'absence de Christophe. Se rendant devant les cabinets alignés comme les box d'une écurie, il tire à lui nerveusement chacun des battants qui les ferment; les portillons grincent sur leurs gonds et claquent quand il les repousse. 

 

Pauvre M. Régis ! Il pense qu'il est en train de vivre la chose la plus terrible qu'il puisse arriver à un surveillant d'internat...

 

 

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Le ciel est superbe : il lui semble qu'il n'a jamais été aussi beau tant les étoiles sont étincelantes sur le noir d'encre.

 

« Christophe, où es-tu? ». Ces paroles qui n'appellent pas de réponse, M. Régis les prononce à voix basse comme si, quelque part, l'enfant pouvait les entendre par transmission de pensée. Avec lenteur, liquéfié, le maître d'internat se dirige vers l'escalier, échafaudant toute sorte d'hypothèses... Une fugue ? Cela fera quatre ans que cet enfant est pensionnaire à Saint Christophe et il s'y est toujours plu; rien d'anormal ou d'inquiétant n'a été visible chez le jeune garçon la veille au soir ni depuis la rentrée. A la veillée, l'enfant était enjoué bien que déçu, comme les autres élèves, de ne pas avoir vu Bébé Lune ! L'instituteur regarde à nouveau le ciel, machinalement... Parmi la myriade d'étoiles, un point particulièrement brillant attire son regard, une petite étoile qui ne scintille pas et qui file à vitesse régulière sur un parcours parfaitement rectiligne. La vision est magique. Le satellite artificiel traverse le ciel en traînant à sa suite un silence émouvant...

 

Avec Spoutnik, c'est l'enfant Christophe qui part vers les étoiles.

 

Sur le toit de la vieille usine, dans un étrange paysage de tuiles romaines qui paraissaient s'entrecroiser, je dormais d'un sommeil serein bercé par le ronronnement du chat de M. Lucien. J'ignorais tout de la détresse de mon bon maître et j'ignorais que mon refuge improvisé était devenu une prison aérienne dont il m'était impossible de me libérer.

 

 

 

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Au petit matin, alors que le soleil n'était pas encore levé à l'est, que les couleurs demeuraient ternes et presque uniformes, le froid me réveilla. Je comprenais en trente secondes ce qu'était ma situation. Le vasistas ayant été fermé, je ne pouvais plus rentrer au dortoir, condamné à attendre que quelqu'un vienne aux toilettes pour l'alerter de mon naufrage ! Je me rassurais de suite car, au petit matin, les dortoirs s'éveillent et la ronde des allées et venues au « cabinet du fond »  commence. Le chat, toujours blotti entre mes genoux au creux de la couverture, dressa son museau et me toisa avec étonnement : « Que se passe-t-il, Christophe, on n'est pas bien, là ? ». Je le soulevai pour m'en libérer. Le minet manifesta un mécontentement paresseux. Quelle heure était-il ? (Je sus, peu après, qu'il était six heures passées). Agenouillé devant la lucarne close, enveloppé dans la couverture, je collais mon nez contre le carreau, guettant le réduit que la lumière du jour naissant ne suffisait pas à éclairer. Je m'abandonnai à sangloter et de grosses larmes coulèrent sur mes joues.

 

 

 

 

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Enfin, je vis entrer une silhouette, l'ampoule du cabinet s'éclaira... Je reconnus aussitôt le petit François. Alors qu'il s'apprêtait à se camper devant la cuvette, je tapai plusieurs coups secs et sonores sur les vitres de la tabatière. Le visage du jeune enfant se tourna vers la lucarne, les cheveux en bataille, les yeux tout ronds et l'air ahuri. Il est vrai que mon apparition depuis les toits avait de quoi le méduser ! Un bref instant, voyant un visage déformé par les reflets des carreaux, François fut terrorisé. « C'est moi, Christophe ! Ouvre ! ». Sans chercher à s'expliquer le caractère saugrenu de ma posture, le petit garçon entreprit de grimper sur la cuvette pour atteindre la barre de réglage du vasistas. Finalement, il s'éclaira d'un vif sourire, plutôt amusé par cette aventure. Il eut quelque mal à libérer la barre métallique du clou auquel elle était accrochée et surtout à pousser la tige vers le haut pour décoller le vasistas, dont le poids était énorme pour ces petites mains. A peine eut-il décollé le châssis que je glissai mes doigts dans l'interstice ainsi créé pour le soulever. J'étais sauvé !

 

Le retour vers l'intérieur fut effectué  toujours à la manière d'un spéléologue : après avoir jeté la couverture que réceptionna François, je faisais d'abord passer mes jambes pour poser les pieds à tâtons sur le rebord de la cuvette, promue escabeau de service. Je refermai la lucarne pour « ne pas laisser de traces ». François n'arrêtait pas de rire tant ma situation l'avait amusé : mon retour « au bercail » (si j'ose dire) avait quelque chose de comique, un peu à l'image d'un pantin surgissant d'une boîte ! Avant même de me demander des explications, il s'écria, en jubilant : « Cette nuit, j'ai pas fait pipi au lit ! ».

 

De l'autre côté de la lucarne, le chat de M. Lucien se manifesta courtoisement, sans mot dire, nullement perturbé par le fait de se retrouver seul parmi les gouttières ! « On le fait rentrer ? demanda François. - Non, laissons-le ! Il est chez lui, là-haut...  ».

 

Le carillon du réfectoire sonnait six heures trente quand je regagnais ma chambre et que je retrouvais un Jean-Marie tout aussi endormi qu'à l'instant où je l'avais quitté.

 

M. Régis me l'apprit peu après : de retour de son exploration de la cour, il s'était étendu sur son lit, fermement décidé à aller prévenir M. Lepic de l'inquiétante disparition. Il en était à réfléchir à cette nécessité quand il fut saisi par un endormissement aussi soudain qu'involontaire... Quand le petit François me sauvait de mon île déserte, le maître d'internat voyageait au pays des sombres cauchemars. Je me couchai en arrangeant sommairement ma literie pour me recroqueviller sous mes couvertures puis, sans difficulté, en quelques minutes, je repartais pour un sommeil habité par des rêves confus.

 

 

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C'est la grosse voix de Mme Lepic, sur son registre agressif, qui ébranla le dortoir ! La « diro », après avoir tambouriner comme une hystérique sur la porte de la chambre du surveillant, le vilipenda en hurlant pour le sortir du lit. Notre maître d'internat ne s'était pas réveillé à l'heure « réglementaire » pour assurer la levée des pensionnaires. La Lepic cria « C'est inacceptable ! », face à un pauvre homme que l'on devinait très mal à l'aise. Il était près de sept heures et demie; la mégère, alertée par le grand calme qui régnait dans les dortoirs, s'était ruée sur le couloir des pensionnaires où elle constata que personne n'était encore debout... Ce tohu-bohu ne manqua pas de m'extraire brutalement de mes rêves. Comme d'autres gosses, je risquai un œil dans le couloir; plusieurs gamins se rendaient aux toilettes où une queue d'attente commençait de se former. M. Régis, abasourdi par les vociférations de la marâtre, sans voix, regarda machinalement vers les enfants qui se pressaient sur la porte du fond. J'étais alors sur le seuil de ma chambre et nos regards se rencontrèrent; ses yeux s'arrondirent sous l'effet de la stupéfaction : le petit disparu était bien là, à deux pas !

 

Dans la cour de l'école Saint Christophe, ce matin-là, deuxième jour de la semaine, toutes les classes rentrèrent avec un quart d'heure de retard. M. Régis, nullement perturbé par ce contre-temps dû à la « panne d'oreiller » de son maître d'internat, en avait profité pour fait causette avec la maîtresse, arpentant avec elle l'espace de récréation par des allers-retours nonchalants. Pour sûr, ils avaient dû parler du Spoutnik et des « évènements » internationaux qui pouvaient découler de ce lancer de Bébé Lune. Quand M. Régis arriva dans la cour, précédé et suivi des pensionnaires de Saint-Christophe, il s'empressa d'annoncer la nouvelle à ses collègues : « Je l'ai vu ! - Qui ça ? - Bébé Lune, j'ai vu le spoutnik ! - Non ? - Si ! ». Bien qu'à quelques mètres de distance de M. Régis, j'entendis son explication : souffrant d'une migraine (c'était un mensonge), il était sorti sur le balcon pour prendre un bol d'air... Le hasard avait fait le reste !

 

En classe, notre maître nous fit une dictée : un extrait du roman « De la terre à la lune » de M. Jules Verne. Durant tout l'énoncé, l'instituteur me regardait avec un air complice et amusé - cet homme avait intuitivement compris la vérité, ou tout-au-moins, une partie de la vérité : j'avais quitté mon lit pour observer le ciel ! Il pensait qu'à son apparition au balcon, je m'étais dissimulé quelque part (dans la remise peut-être) pour ne point être grondé... A la récrée de dix heures, j'allais lui révéler ce qui s'était réellement passé. Cela se fit dans un coin de la cour quand il vint me rejoindre alors que je narrais mon aventure nocturne au petit François et à Jean-Marie. Il ne me gronda pas. Il observa simplement que mon escapade sur le toit avait été dangereuse, surtout par une nuit noire. Il nous confia ce que fut son grand désarroi lorsqu'il s'aperçut de la disparition d'un pensionnaire ! Plus tard dans la journée, il compléta son récit avec tous les détails que je vous ai rapportés plus haut.

 

A suivre...

sur ce lien "La réunion secrète"

 

 

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24/09/2017
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