Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - 14

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

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14

 

 

 

 

Hurlyas-l’Aven. Beaucoup de monde emplit les allées entre les tombes du petit cimetière accolé à l’église romane de calcaire blanc, avec des enfants et des adolescents, parmi lesquels une demi-douzaine de jeunes scouts en chemises rouges qui tiennent respectueusement leurs casquettes à la main. Pierre, leur chef, est à leurs côtés. Eugène, le maire, costumé de gris et cravaté, tient ouvert dans ses mains tremblantes le carnet de poèmes du garde du Parc National. Transpirant à grosses gouttes, il lit, sur un ton monocorde, de sa voix cévenole mal assurée, envahi par le trac plus que par l’émotion.

 

- « Sous l’horizon carmin de la fin du jour, les collines silencieuses épousent le crépuscule… »

 

Serge est dans la foule des caussenards (dont beaucoup sont endimanchés) ainsi que Cédric avec sa mère et son père, de l’Auberge de la Grive. Catherine, la compagne de cœur du défunt, pantalon et chemisette mode mais de circonstance, lunettes de soleil, est près de la fosse avec Michael en pleurs, serré contre elle, protégé de l’insolation par sa casquette. Trois personnes, des proches du garde, sont à leurs côtés. Sébastien, costume gris rayé et cravate sombre, sans casquette et bien coiffé, parfumé à l’eau de Cologne, suant, est légèrement à l’écart en compagnie de Léonard, le vieux berger, avec Marie-Jo, sa patronne, toute de noir vêtue, coiffée d’un chapeau de paille noir d’un autre âge et Didier, l’instituteur. Le Curé est à l’écart et n’officie pas (costume anthracite, col romain, croix à la boutonnière). Patrick, le jeune agriculteur bio, est dans la foule, lui aussi cravaté. Les paysans, engoncés dans leurs costumes des dimanches, souffrent visiblement de leur armure vestimentaire. Tous transpirent à grosses gouttes. Bruits de sonnailles venant de la lande toute proche où broute avec nonchalance le troupeau de Léonard, momentanément abandonné. Aboiements de chiens venant du village. Près de la fosse, une couronne mortuaire de fleurs fraîches, parmi d’autres, porte en bandeau la mention

 

« Le Député Fontanès au garde du Parc National »

 

avec un ruban tricolore.

 

A voix basse, Sébastien informe Léonard : « Il est mort sur le coup…! Une fracture du rocher comme ils disent. Il paraît que ça laisse aucune chance ! ».

 

Voix chevrotante du maire de Hurlyas-l’Aven : « Les derniers rapaces ont moucheté le ciel. (Il tousse...) Les brebis rassasiées du festin de la lande regagnent le village où les foyers… (il bute sur sa lecture), où les foyers...  s’allument.»

 

Ayant achevé, le maire ferme solennellement le carnet comme un curé qui vient de lire la parole de l’Evangile, se racle la gorge, le glisse enfin dans une poche de sa veste avec la physionomie de celui qui est heureux d’en finir avec une corvée épouvantable. Il retire ses lunettes, les plie, les glisse dans l’autre poche de sa veste. Il sort un mouchoir de son pantalon, s’éponge le front, le visage très rouge. La lecture était lamentable ; il fallait un grand respect pour l’œuvre du garde pour tenter d’en apprécier la poésie. Beaucoup pensaient : « On aurait dû confier la tâche à l’instituteur ». Le groupe se dissocie dans l’allée du cimetière, s’éloigne de la fosse. Des personnes conversent, d’autres sont muettes, en phase avec le recueillement de rigueur. Sébastien, Léonard et Didier marchent côte à côte en silence. A l’écart, derrière le groupe disséminé, avancent Catherine avec Michael, suivie des trois personnes qui étaient près de la tombe et de Marie-Jo. Sébastien lève la tête pour regarder le ciel où passent quelques vautours. Ses yeux sont larmoyants et rougis. On entend des bruits de pelle ; le fossoyeur commence la besogne. Michael se détache brusquement de sa mère en courant.

- Michael ! appelle la maman.

 

L’enfant bouscule les gens pour courir vers Sébastien et se blottir contre lui. L’homme s’arrête. Didier hésite puis continue sa marche ainsi que Léonard.

- Faut rester avec ta maman, Michael ! proteste Sébastien. Tu sais, elle a beaucoup de chagrin. (En fait, il pense surtout à l’hostilité que la mère lui témoigne à propos de son garçonnet).

 

Catherine presse le pas pour rejoindre l’enfant.

- Michael, reste avec moi ! (presque une vocifération)

 

Michael résiste en se serrant très fort contre Sébastien, l’enveloppant de ses bras. Arrivée à eux, Catherine essaie de l’en séparer à la façon de la mère qui ne veut pas laisser son enfant ennuyer un adulte. Mais Michael tient bon.

- Pourquoi tu m’empêches d’aller garder avec Sébastien ?

- Allez, Mic ! reste avec ta mère ! fait Sébastien.

- (Agrippé à Sébastien ; à sa mère) Tu es méchante ! T’es une maman méchante !

 

Catherine arrache l’enfant de Sébastien et le gifle d'un geste impulsif. Le groupe qui suivait Catherine avec Marie-Jo, assiste de loin à l’altercation. Il passe près d’eux sans faire cas et disparaît. Devant, Didier tourne la tête dès après la gifle puis s’immobilise, pivote légèrement pour regarder la dispute. L’enfant réagit crânement. Il passe une main sur sa joue. Calmé, il regarde Catherine droit dans les yeux. Il est déterminé :

- Je veux que Sébastien soit mon papa !

 

...

 

A la terrasse de l’Auberge de la Grive colorée par les parasols, inondée de soleil, des clients consomment des boissons. En face, de l’autre côté de la route, se dresse la grange brûlée de Sébastien dont il ne reste que les murs de moellons de ciment, noircis par le feu, bâtiment désormais sinistre. La toiture a disparu, devenue un amas de plaques de Fibrociment brisés parmi les décombres calcinés. Quelques poutres subsistent à demi consumées. L’odeur de bois brûlé mouillé persiste.

 

Grégoire, enfoncé dans le fauteuil de rotin et ses coussins, aiguise un couteau. Pipo, au frais sur le dallage de la cuisine, se dresse et aboie. Il a entendu et senti son maître. Bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre puis se ferme. Du vestibule, Sébastien puis Marie-Jo entrent dans la pièce. Ils sont endimanchés. Marie-Jo a le chapeau de paille noir sur la tête.

- Alors ? Comment ça c’est passé ?

- Il a eu beaucoup de monde anticipe Sébastien.

- Je suis fourbue ! gémit Marie-Jo, en ôtant son chapeau.

- Le pauvre Jean-Louis, il va être bien triste dans son trou… ! poursuit Sébastien. Lui qui aimait tant galoper sur la lande ! Très sincèrement, je préfèrerais que ma charogne soit abandonnée au soleil et aux vautours !

- Fontanes lui a fait porter une couronne…, dit Marie-Jo.

- Une couronne…, pour ce que ça doit lui faire ! conteste Sébastien. En tout cas, le curé de Hurlyas, il l’avait dans le cul ! (Protestation silencieuse de Marie-Jo) Il était au chômage, le bougre…! Jean-Louis était un mécréant ! Avec des gens comme lui, l’Église fait pas recette !

- Les gendarmes n’ont toujours pas retrouvé les motards…, annonce Grégoire.

- Hé ! qu’est-ce que ça changera si on les retrouve ? réplique Marie-Jo, ça fera pas revenir Jean-Louis !

- Quelqu’un a demandé après toi, Sébastien, révèle le vieil homme.

- Au téléphone ? Qui ça ?

- Un journaliste de Paris…, le Monde… Il s’occupe des choses de l’environnement, tout ça… C’est à propos de votre courrier pour Ferma. Il voulait savoir si c’était du lard ou du cochon, qu’il a dit ! Il te rappellera.

- Le Monde ? Jean-Louis n’aura pas travaillé pour rien. Ça commence à bouger… Il rappellera vous dites ?

 

 

 

 

15

 

 

 

 

Marcel essuie ses verres derrière le comptoir. Serge est assis à une table avec le journal parisien grand ouvert dans les mains. Il est seul dans la salle. Sur la table, un bock, une canette de bière forte et un paquet de tabac à rouler. Le journal l’interpelle.

- Putain ! cet article !

- Con de Sébastien ! fait écho l’aubergiste, sur un ton mi-figue mi-raisin. Il est capable de faire tout capoter !

- (Plus virulent) Il ne m’empêchera pas de vendre !

- Oui ! mais si la presse s’en mêle… ! Il paraît qu’un gars de « France Inter », qui anime une émission écologique, va venir faire un reportage…

- Eugène est à fond pour, avec Fontanes. Le Parc ne réagit pas et Jean-Louis n’est plus de ce monde… Sébastien ne fait pas le poids dans la balance !

- Sébastien n’est pas seul, Serge. Ils ont réuni mille deux cents signatures. La pétition est partie chez le Ministre de l’environnement. Les élus peuvent se montrer réticents si une opposition sérieuse au projet se met en place…, s’ils sentent le vent tourner ! …Des élections sont proches.

 

Serge hausse les épaules et ferme le journal, le pose sur la table.

- Ils me font tous chier ! (Il rote.)

 

Visage crispé. Il sort un étui de papier à cigarette du paquet de tabac, en tire une feuille, roule une cigarette. Pierrette apparaît derrière le comptoir, les cheveux défaits, venant de la cuisine contiguë. Elle apporte des tasses à café vides qu’elle range près du percolateur. Serge allume la cigarette, sort d’une poche de son pantalon de la monnaie qu’il pose sur la table, se lève. La femme se hasarde :

- Finalement, ce ne serait peut-être pas une si bonne chose, ce complexe touristique… ?

 

Serge la fusille des yeux. Il sort brusquement en claquant la porte derrière lui. Marcel regarde Pierrette d’un œil sévère, en soupirant. Cela fait deux ans qu’il galère à Nivéole. Arrivé « au pays » avec son épouse parisienne et son grand fils, avec son fusil de chasse hérité du père et trois valises, il s’y est installé pour se rapprocher de sa région natale (l’Aveyron). Pas caussenard, mais tout de même un peu « du coin » ! Il avait tenté sa chance dans la capitale, en montant un modeste café restaurant dans le XIIème - un « quartier village » comme Paris en compte par centaines -, s’y était marié, avait eu Cédric… L’affaire marchait à peu près bien mais la vie de la capitale, avec un ado de plus en plus incontrôlable et la passion de la chasse, l’avait ramené à la France profonde - ou plutôt, la France « d’en haut », celle des causses ! Pierrette, enthousiaste car attirée par la province - elle avait été enchantée par l’Aveyron -, s’associa de tout cœur au projet de Marcel. Cédric, qui avait connu quelques vilaines mésaventures de collège, avait suivi sans résister. Le chiffre d’affaires de l’auberge, avec une saison estivale trop courte, avait besoin d’un bon coup de pouce ; l’extension de l’aérodrome, si longtemps attendu par l’aéro-club, aurait assurément favorisé ces fameux stages de vol à voile, qui aurait assuré une clientèle substantielle à l’Auberge de la Grive. Marcel a de la sympathie pour le berger de Nivéole. Mais il en a davantage pour son bilan comptable !

 

Sur la terrasse, vide de monde, où il lave tables et chaises, le fils de l’aubergiste, dans son tablier blanc souillé, regarde l’éleveur sortir.

- Tu sais où est allé Sébastien ? s’enquiert Serge.

- (Hésitant) Avec le troupeau… ? Du côté du ravin des Caves.

 

Serge se dirige promptement vers son véhicule tout-terrain garé à proximité. Il y monte, met en route le moteur et démarre en trombe en direction du Mas-du-Buffre. Cédric le suit longuement des yeux, l’air soucieux. Il se pince les lèvres, convaincu d’avoir trop parlé :

 

- Merde ! fait-il, un regret dans la gorge.

 

 

 

A suivre…

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22/12/2019
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